Abraham Mehreteab
Article nécrologique
(18.12.2015) C’est Rudi Friedrich, animateur du réseau Connexion Ev (soutien aux déserteurs) qui nous apprend la triste nouvelle du décès le 7 décembre 2015 de notre ami Abraham, survenu à l’hôpital d’Offenbach-am-Main. Il a été emporté à 44 ans d’une tumeur au cerveau.
Venant de la région d’Asmara (capitale de l’Érythrée), il avait été blessé à l’âge de 10 ans par l’explosion d’une mine antipersonnel : il perd son bras droit et devient presque aveugle de l’œil droit. Malgré ses handicaps, il réussit à devenir étudiant à l’université d’Asmara, où il participe à des campagnes d’information contre les mines. Licencié en droit en 1998, et militant actif au niveau mondial, il reçoit le prix Reebok pour les droits de l’homme, alors qu’il s’opposait à l’effroyable régime militariste d’Issayas Affeworki (l’inamovible dictateur de l’Érythrée depuis l’indépendance de 1990).
Alors qu’il se trouvait en tournée de conférences à l’étranger, il apprend que tous les membres de son groupe ont été arrêtés et ont disparus. Réfugié en Allemagne, il sera un des cofondateurs de l’Initiative antimilitariste érythréenne pour les droits de l’homme et travaillera dès 2003 en étroite relation avec l’Internationale des résistants à la guerre (IRG). C’est lors des Conseils d’administration de l’IRG que nous avons bien connu Abraham, avec lequel les membres de l’UPF se trouvaient en parfaite symbiose. Voix des sans voix (les objecteurs d’Érythrée), il a beaucoup œuvré à la promotion du droit au refus de tuer. Il a traduit en tigréen le Manuel pour les campagnes nonviolentes, diffusé auprès de l’active diaspora érythréenne dans le monde (un million d’exilés ayant fuit la dictature, soit le quart de la population).
Anecdote : lors de l’Assemblée générale de l’IRG à l’université gandhienne d’Ahmedabad (2010), il nous avait accompagnés à une visite libertaire de la vieille ville. Fasciné par la réputation des artisans du Gujarat, tout en pensant à ses pieds, il nous demande de nous arrêter dans une boutique de chaussures. Il choisit une paire de mocassins noirs qui lui convient et la négocie âprement. Le marchand n’accepte pas le prix fixé par Abraham, croyant faire une bonne affaire au vu de la présence de deux occidentaux. Abraham ne revient pas sur le prix et nous quittons la boutique. Dix minutes après, alors que nous prenons un rafraîchissement, réapparaît le marchand tout penaud avec son carton à chaussures et acceptant les conditions d’Abraham. Nous avons reçu une leçon de ténacité et de modestie grâce à notre ami.
Lors de l’AG IRG au Cap (2014), il se plaint de fortes douleurs à la tête, qui l’empêchent de récupérer la fatigue de la journée. Des remèdes de yogis ont l’air de le soulager (probablement nos empathies respectives !).
Nous avons une perception un peu intellectuelle de la guerre. Abraham, lui, en avait directement souffert. Et pourtant, nous-nous comprenions parfaitement bien. Malgré sa révolte contre la guerre et toute violence, il n'avait pas de haine, pas d'esprit revanchard. Il agissait pour la paix en vivant intensément sa non violence et en conservant sa profonde gentillesse.
Il disait : « Nous sommes les seuls à pouvoir faire changer les choses en Érythrée, face aux traitements inhumains que subissent nos amis là-bas. » Le départ de ce grand militant africain nous oblige à intensifier nos efforts contre le terrorisme des militaires sur tous les continents.
Nos plus affectueuses pensées vont à tous ses proches, à l’IRG, ainsi qu’à notre ami Zecharias Tedros, peintre réfugié en Allemagne, qui était venu animer un des mémorables festivals antimilitaristes de Paris et qu’ont pu rencontrer les membres franciliens de l’UPF.
René Burget et Maurice Montet, Décembre 18, 2015